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ICEA

Institut de coopération pour l'éducation des adultes

L’Éducation des adultes comme outil d’insertion et de vivre ensemble

Arbres avec différents drapeaux nationauxCes derniers jours, les décisions de nos gouvernements québécois et canadien font les manchettes en matière d’immigration. À commencer par la Coalition Avenir Québec (CAQ) qui durant la campagne électorale disait, à propos des personnes immigrantes, vouloir « en prendre moins, mais en prendre soin ». Par ailleurs, maintenant au pouvoir, le nouveau gouvernement n’a pas tardé, comme promis, à présenter le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État. 

De son côté, le gouvernement fédéral passe en douce un amendement concernant les personnes réfugiées. Cet amendement inséré au projet de loi budgétaire omnibus est passé presque inaperçu. Il vise à « rejeter d’emblée les demandes d’asile de réfugiés qui en ont déjà fait la demande dans un autre pays »1.

Dans tous ces cas, l’éducation des adultes constitue un outil important pour réussir d’une part, l’accueil et l’insertion des personnes immigrantes et, d’autre part, le vivre ensemble.

Assurer la francisation des personnes immigrantes et la reconnaissance de leurs acquis

Si le gouvernement de M. Legault désire prendre soin des personnes immigrantes, il devra s’attaquer aux graves lacunes relevées par la Vérificatrice générale du Québec en matière de francisation2. Il est bien connu que la francisation constitue un moyen efficace d’insertion puisqu’en plus d’apprendre la langue du pays d’accueil, elle permet de mieux connaître sa culture, ses rouages, ses institutions, ses valeurs, etc.

Par ailleurs, la reconnaissance des diplômes et des compétences acquis à l’extérieur du Canada (RAC) constitue une condition favorisant une intégration plus réussie. « La difficulté à faire reconnaître des diplômes obtenus à l’étranger est constatée depuis longtemps (ISQ, 2015 : 184; Chicha et Charest, 2008 : 9). On pointe différentes raisons, notamment la rigidité des ordres professionnels (Le Devoir, 5 décembre 2017; RSSMO, 2009 : 7-8). » (Brossard, 2018 : 14).

Le premier budget du gouvernement actuel ne précise pas les sommes qui seront allouées à la francisation et à la RAC, mais elles sont incluses dans ce qu’il appelle « un nouveau parcours d’accompagnement personnalisé ». Le gouvernement s’engage à investir 146 millions $ par année pendant cinq ans dans ces parcours, soit un total de 730 millions $1

Les détails de ce parcours seront annoncés ultérieurement, mais nous savons d’ores et déjà qu’il inclut des actions visant la planification, la prospection, le recrutement international et la sélection de l’immigration1. Il faudra donc voir la part qui sera accordée à la francisation et à la RAC. 

Assurer un mieux vivre ensemble

Mais une intégration réussie n’est pas seulement l’affaire des personnes immigrantes. Elle implique forcément l’accueil réussi par les citoyennes et citoyens du pays. À ce titre, le débat sur les signes religieux montre le travail d’éducation à faire.

Les signes religieux : un double standard 

Dans la Presse Plus du 4 avril 2019, la professeure de l’Université de Montréal Claire Durand nous apprend que les Québécoises et les Québécois donnent un appui majoritaire à l’interdiction de signes religieux associés aux musulmans et aux sikhs, par exemple le kirpan, le niqab, hijab et la burqa. En contrepartie, la majorité québécoise et canadienne « n’appuie pas l’interdiction des signes religieux judéo-chrétiens, soit la croix, l’étoile de David, l’habit des religieuses et la kippa »3

Or, comme le souligne l’auteure, « la population est en majorité prête à accepter l’habit des religieuses, mais non le hijab de la femme musulmane alors que les deux pourraient être habillées sensiblement de la même manière » 4. Ce qui amène Mme Durand à conclure « qu’il n’y a pas d’appui pour la laïcité de l’État, mais plutôt une résistance à la diversité récente » 4.

C’est ici qu’entre en jeu l’éducation des adultes.

Défaire les préjugés et le racisme pour mieux vivre ensemble

Dans le débat autour des signes religieux, rarement avons-nous entendu parler des réticences à l’égard des signes plus récents. À l’opposé, la kippa et l’étoile de David ne dérangent pas la majorité de la population québécoise parce que, soutient Mme Durand, ce sont des « caractéristiques d’une communauté présente au Québec depuis très longtemps ».

Ces éléments sont éclairants. Il montre que la méconnaissance de l’autre et les craintes qu’elle inspire peuvent guider les préjugés, les doubles standards et le racisme. La bonne nouvelle, c’est que l’éducation peut changer les perceptions. 

À ce titre, tous et toutes ont le devoir de remettre en question leurs aprioris, de s’informer et de se former. Par exemple, pour contrer nos préjugés, il faut d’abord reconnaître que nous en entretenons. Autrement dit, personne n’est à l’abri du racisme. Au Québec, il est difficile de l’admettre. Pourtant…

Une étude de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse montre « qu’en moyenne, un peu plus du tiers des refus [à un emploi] essuyés par les candidats des minorités racisées pourraient être attribuables à la discrimination. »5 (2012 : 43-44).

Mais c’est d’abord et avant tout aux dirigeants et aux dirigeantes politiques à véhiculer un discours informé qui fait œuvre éducative.

M. Robert Leckey, doyen de la Faculté de droit de l’Université McGill donne un bon exemple de ce qu’un gouvernement soucieux de construire le mieux vivre ensemble pourrait dire à la population qui s’inquiète de voir sa langue et ses valeurs menacées. Selon lui, un gouvernement devrait faire valoir qu’« aucune preuve n’appuie le soupçon selon lequel ceux qui en arborent sont plus portés que les autres à contrevenir à leur devoir de neutralité dans l’exercice de leurs fonctions. Il serait donc irresponsable de brimer les droits fondamentaux des minorités religieuses sans justification solide »4

En d’autres termes, M. Leckey invite à fonder une action politique sur des études et d’en faire part à la population. Ce qui est le propre de tout acte réellement pédagogique.

Les droits humains

De la même manière, le gouvernement fédéral pourrait user de pédagogie pour contrer les craintes liées à l’immigration illégale plutôt que de vouloir rejeter de facto les personnes qui ont déjà présenté une demande d’asile dans un autre pays. En effet, cette règle s’appliquera à toutes personnes demandant l’asile, même celle qui franchissent la frontière canadienne de façon légale. En y regardant d’un peu plus près, on voit que le gouvernement Trudeau veut surtout freiner l’arrivée des personnes qui quittent les États-Unis, une catégorie qui attire peu la sympathie des Canadiennes et Canadiens6

Or, on risque de brimer les droits des personnes réfugiées pour rassurer la population plutôt que de prendre le chemin de l’éducation. Notamment, l’éducation aux droits humains. En effet, nous avons l’obligation, du moins morale, d’assurer les droits aux personnes réfugiées du seul fait qu’elles sont des êtres humains. Ces droits sont ceux à une « audience équitable », à être accueillie en cas de refus dans un autre pays, etc.1.

Cette humanité exige aussi qu’on cesse de considérer les personnes immigrantes sous le seul angle de leur employabilité. Les humains ne sont pas que de la force de travail, ils ne se réduisent pas à un « instrument » que l’on peut utiliser pour combler nos besoins. Parler des personnes immigrantes sous le seul angle de leur « utilité » à combler nos besoins de main-d’œuvre est une instrumentalisation qui n’est pas digne d’un pays démocratique. 

À ce titre, l’éducation à la citoyenneté, qui concerne un volet de l’éducation des adultes, constitue un bon moyen de rappeler les fondements humanistes élémentaires et le devoir de solidarité envers toute personne, qui qu’elle soit, d’où qu’elle vienne et peu importe ses valeurs et ses croyances.

Tout comme le débat public survenu lors de la Commission Bouchard-Taylor l’a montré, le présent débat autour du projet de loi sur la laïcité met en évidence l’importance de l’éducation des adultes dans la vie démocratique des sociétés complexes.

1. Vastel, Marie. 2019. « Les libéraux serrent la vis aux demandeurs d’asile ». Le Devoir, 10 avril.

2. Vérificateur général du Québec. 2017. Audit de performance. Francisation des personnes immigrantes. Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion. Chapitre 4. Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2017-2108. 36 p.

3. Durand, Claire. 2019. « Les sondages, les signes religieux et la laïcité de l’État ». La Presse Plus, section Débat, 4 avril.

4. Leckey, Robert. 2019. « Un gouvernement de sondeurs ou de leaders ». La Presse Plus, section Débat, 4 avril.

5. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). 2012. Mesurer la discrimination à l’embauche subie par les minorités racisées : résultats d’un « testing » mené dans le grand Montréal. Recherche et rédaction : Paul Eid avec la collaboration de Meisson Azzaria et Marion Quérat. Montréal : CDPDJ, 52 p.

6. Cornellier, Manon. 2019. « Réfugiés : un verrou politique », Le Devoir, Éditorial, 12 avril.