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ICEA

Institut de coopération pour l'éducation des adultes

Regard sur le nouveau programme de bourses Perspective Québec

Bourses Perspective Québec À la fin du mois de novembre 2021, le gouvernement du Québec a annoncé l’Opération main-d’œuvre. Dans le cadre de cette opération, plusieurs mesures ont été dévoilées. Elles visent notamment à favoriser la réussite dans plusieurs formations collégiales et universitaires grâce à la mise sur pied de nouvelles bourses incitatives, à former et à requalifier des personnes sans emploi ainsi que des travailleuses et des travailleurs, à ramener en emploi des personnes retraitées de certains services publics essentiels et à recourir à une immigration cibléenote1.

Ces nouvelles bourses incitatives font partie du programme de bourses Perspective Québec. Le but de ce programme de bourses est d’augmenter le nombre de personnes qualifiées dans un certain nombre de professions touchées par la rareté de la main d’œuvre et dans quelques secteurs considérés comme étant stratégiques pour le développement économique de la province. De manière plus précise, six objectifs ont été identifiés.

  • Valoriser les formations menant aux professions priorisées ;
  • Accroître les inscriptions à temps plein dans les programmes d’études visés ;
  • Favoriser une réalisation du parcours scolaire dans les délais prévus ;
  • Récompenser la persévérance des étudiants concernés ;
  • Augmenter la diplomation en favorisant la réussite d’un plus grand nombre d’étudiants ;
  • Contribuer ainsi à répondre à la pénurie de main-d’œuvre.

Les bourses sont destinées aux étudiantes et aux étudiants inscrits à temps plein dans une trentaine de programmes techniques collégiaux et dans plus de 250 programmes universitaires dans les domaines suivants : éducation (enseignement, éducation spécialisée, etc.), génie, santé et services sociaux (psychologie, soins infirmiers, travail social, etc.), services de garde et technologies de l’information. La liste des programmes universitaires comprend des programmes aux trois cycles d’études, mais davantage au premier cycle.

C’est à l’automne 2022 que les étudiantes et étudiants inscrits dans les programmes ciblés pourront obtenir ces nouvelles bourses. Celles-ci seront données après chaque session à temps plein qui aura été réussie, et ce, pour toute la durée prévue du programme. Les étudiantes et les étudiants ayant déjà entamé un des programmes ciblés seront éligibles tout comme celles et ceux nouvellement inscrits. Au niveau collégial, c’est un montant total de 9000 $ (1500 $ par session) qui pourra être accordé et au niveau universitaire, les bourses totaliseront 15 000 $ pour un programme de trois ans et 20 000 $ pour un programme de quatre ans (2500 $ par session). Ce programme ne remplace pas le programme de prêts et bourses de l’Aide financière aux études (AFE), mais vient s’ajouter aux mesures financières existantes.

Bien que le programme de bourses ne soit pas encore en vigueur, on peut d’ores et déjà se poser plusieurs questions.

Quels programmes d’études et quels impacts ?

Pourquoi certains programmes ont-ils été choisis plutôt que d’autres et de quelle manière l’ont-ils été ? Selon la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, les programmes retenus connaissent « des manques de personnels criants » (Duval, 2022a). Toujours, selon elle, c’est en partenariat avec différents ministères que la liste des programmes a été constituée. Cependant, l’ensemble des milieux concernés – établissements collégiaux et universitaires, syndicats, organismes communautaires, associations étudiantes, groupes d’établissements et organisations professionnelles comme la Fédération des cégeps ou la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), etc. – ne semblent pas avoir été consultés.

Plusieurs acteurs ont d’ailleurs pris la parole pour mettre en lumière certaines limites du nouveau programme de bourses, notamment en ce qui concerne la liste des programmes. L’exclusion de la technique en travail social – malgré les besoins importants pour des diplômées et diplômés dans ce programme – a été critiquée par plusieurs acteurs du secteur collégial tels que le Regroupement des enseignantes et des enseignants des collèges en travail social du Québec (REECETSQ) ainsi que par des étudiantes et des étudiants (Montmarquette, 2022). Une pétition, appuyée par la députée de Québec solidaire, Christine Labrie, a été lancée pour demander l’ajout de ce programme d’études à la liste des programmes d’études ciblés (Chayer, 2022).

D’autres acteurs du milieu collégial et universitaire ont également dénoncé l’absence de quelques programmes d’études visés par des pénuries de main-d’œuvre, par exemple la maîtrise interuniversitaire en génie aérospatial, le baccalauréat en pratique sage-femme ou le programme Technologie d’analyses biomédicales. Certains programmes exclus ont pourtant été identifiés par le ministère de l’Enseignement supérieur (MES) comme étant en forte demande sur le marché de l’emploi. Plusieurs présentent d’ailleurs de meilleurs taux de placement que certains des programmes d’études inclus (Duval, 2022b). Des acteurs ont également souligné que les domaines retenus font globalement peu de place aux sciences fondamentales (Duval, 2022c; Duval, 2022a).

En réponse aux critiques et aux demandes, des programmes techniques en génie ont été ajoutés autour de la mi-février. Il en a été de même pour quelques programmes universitaires de génie qui ne figuraient pas en décembre dernier dans la liste publiée par le gouvernement (Désilets, 2022).

Par ailleurs, des programmes contingentés figurent également dans la liste des programmes admissibles. Si le nombre de places ouvertes n’augmente pas, il n’y aura donc pas plus de finissantes et de finissants en fin de compte. Pour accueillir plus d’étudiantes et d’étudiants dans ces programmes, des acteurs soulignent qu’il faudra ajouter des ressources humaines, financières et matérielles qui ne sont pas nécessairement disponibles à court terme (Duval, 2022d). Enfin, on peut se demander si le fait de cibler certains programmes pourrait avoir comme conséquence de dévaloriser certaines formations et de déplacer les inscriptions créant des problèmes de rareté de main-d’œuvre dans d’autres milieux, secteurs d’activité et professions.

Quelle accessibilité et quelle flexibilité ?

Le nouveau programme de bourses encourage uniquement la formation à temps plein et certains types de parcours. Ne devrait-on pas faire preuve de plus de flexibilité pour tenir compte, entre autres, des réalités des apprenantes et des apprenants adultes qui sont rarement en mesure d’effectuer des formations à temps plein puisqu’ils doivent souvent concilier des responsabilités parentales et familiales avec le travail et la poursuite des études ? Cette question est fondamentale en éducation des adultes surtout qu’il existe peu de mesures financières pour les étudiantes et les étudiants à temps partiel et pour les parents aux études. Selon les données de la dernière enquête ICOPE dans le réseau de l’Université du Québec (UQ), presque le quart des étudiantes et des étudiants exercent des responsabilités familiales (enfants ou autres parents) (Bonin et Girard, 2017). Par ailleurs, les parcours scolaires changent. Ils sont de plus en plus diversifiés et non-linéaires (Doray, Trottier et Picard, 2011). Il serait important d’en tenir compte lorsqu’on élabore de telles mesures de financement.

Dans une déclaration récente découlant d’une recherche réalisée pour le compte de l’ICÉA (Mercier, Brossard, Parent-Poisson et Dalle, 2021), nous rappelions justement l’importance des mesures de conciliation entre les études, la famille et l’emploi chez les femmes, des mesures qui contribuent à rendre possible l’éducation, la formation et l’apprentissage tout au long de la vie.

Quelle vision de l’adéquation entre la formation et l’emploi ?

Ce programme de bourses s’inscrit à notre avis dans une vision étroite de l’adéquation entre la formation et l’emploi alors qu’une vision large de l’adéquation est nécessaire (ICÉA, 2019). Pour répondre efficacement à des problèmes de main-d’œuvre, ne faut-il pas tenir compte des transformations continuelles de la société dans laquelle nous vivons, du marché du travail et des compétences et des connaissances requises par la société du savoir et pour l’apprentissage tout au long de la vie ? En plus des besoins de main-d’œuvre identifiés par le gouvernement et ses agences, les regroupements sectoriels ou professionnels et les entreprises, il importe également de prendre en considération les situations de vie, les besoins, les choix et les aspirations des personnes.

Quelles seront les conséquences de cette mesure financière qui s’inscrit dans une perspective d’adéquation de type quantitative (Giret et Lopez, 2005)note2 ? Est-elle la solution dans des secteurs et dans des professions où il y a pénurie ou rareté de main-d’œuvre, mais également des enjeux importants de rétention des travailleuses et des travailleurs qui quittent prématurément leur emploi ou leur profession ? Ces questions ont été soulevées récemment par différents acteurs, notamment la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) et la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ) (Bussières McNicoll et Garachon, 2022). Certains acteurs affirment justement que les incitatifs ne devraient pas être donnés pendant les études, mais après.

Voilà donc un certain nombre de questions soulevées par l’annonce de ce nouveau programme de bourses pour inciter les étudiantes et les étudiants à s’inscrire et à terminer des études dans une liste prédéfinie de programmes collégiaux techniques et universitaires. C’est un dossier à suivre d’ici son implantation à l’automne 2022.

Notes

1. Pour plus de détails, voir : Gouvernement du Québec (2021), Opération main d’œuvre. Mesures ciblées pour des secteurs prioritaires. En ligne. p. 10. https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/travail-emploi-solidar...

2. Giret, J.-F. et Lopez, A. (2005), Introduction générale. Dans J.-F. Giret, A. Lopez et J. Rose (dir.), Des formations pour quels emplois? Paris, La Découverte, CÉREQ.